• Au nom du père, du fils et de J.M. Weston, Julien Mabiala Bissila

    Une surprise, un véritable cadeau pour ponctuer cette année 2016 : un spectacle de théâtre qui ose dire- sans fard mais avec une profondeur et un burlesque à s'en décrocher l'estomac- les hypocrisies d'un monde où conflits de pouvoir et conflits économiques gangrènent les relations humaines. Quel talent, quel talent ce Julien Mabiala Bissila !!

    Au nom du père, du fils et de J.M. Weston, Julien Mabiala Bissila

    L'intrigue raconte le retour de deux frères à Brazzaville, après la guerre... deux frères qui vont sur les traces du passé mais qui n'en retrouvent plus ni les lieux ni les êtres aimés et qui cherchent, tenez-vous bien, une paire de chaussures qu'ils avaient enterrée. Or, cette quête fait ressurgir peu à peu des souvenirs qui permettent d'évoquer et de traiter autant les horreurs de la guerre, que les modes vestimentaires(la sape), les différences générationnelles et les effets de la mondialisation.

     

    A partir d'une mise en scène des plus sobres, les artistes ont réalisé un spectacle mémorable ! Au début, un immense amoncellement de pneus au centre de la scène, avec deux vestes posées çà et là, une énorme valise rouge derrière et des lampes à l'arrière-scène sur chaque côté. Ces pneus seront l'occasion, par leur maniabilité, de modifier les espaces théâtraux en les déplaçant,  les réajustant ou les utilisant pour exprimer certaines émotions des personnages. Cet espace modulable à loisir s’allie au rythme intempestif qui ouvre la pièce et ne l’abandonne presque jamais si ce n’est pour un mono-dialogue sur le souvenir de la mort de la mère. Dès le début, les comédiens jouent avec le public en l’impliquant par leur entrée au beau milieu des spectateurs et surtout par leurs allusions multiples aux spécificités du genre théâtral : la durée du spectacle « 7 heures » soi-disant, avec tout ce que cela implique pour un spectateur,  le contenu « rien », les intermèdes de danse qui ne viennent jamais, les apostrophes directes du public et les moments de pause pour dialoguer avec celui-ci. Tout ceci sur un rythme endiablé grâce à l’énergie des voix, des corps et aux intentions si expressives du jeu des comédiens. Les répliques fusent et la relation à la fois conflictuelle et tendre entre les deux impayables frères « Criss » et « Cross » permet dès le début de lancer la dynamique tout en ouvrant la possibilité de retours au calme. La dispute commence sur une erreur de direction : les deux frères ne trouvent pas l’endroit qu’ils cherchent… et l’un reproche systématiquement à l’autre son absence de sens de l’orientation. Or, au fil de la pièce, on se rend compte que tous deux sont aussi perdus l’un que l’autre et c’est  progressivement que l’on comprend que la guerre a tout ravagé et changé… Ce qui semblait burlesque devient alors une terrible évidence mais le ton reste toujours léger malgré la profondeur du propos… D’ailleurs, c’est le plus bavard des deux frères, Criss, qui semble le plus désorienté lorsqu’il raconte la mort de sa mère démembrée. Cette fratrie à la Buster Keaton qui, finalement, revient pour une chose bien futile en apparence -une paire de chaussures-, découvre les dessous de la guerre mais aussi ses conséquences. Leur recherche les fait tourner en bourrique, ils ne cessent de se perdre… ET même les retrouvailles avec le vieux Payousse, dont la joie est brève, vient leur faire pointer du doigt la cruauté humaine : la mort de leur père est décrite de manière détaillée et morbide par le vieux qui semble s’en délecter. Ce vieux également incroyable lorsqu’il apparaît vêtu en sapeur, tout de rose, affectant la démarche adéquate. Le comédien joue avec brio ce rôle ! Il intervient d’ailleurs dans tous les autres rôles de la pièce : du spectre de la mort(déguisé en marié) qui passe dans l’ombre, au père Payousse, au sapeur. Une voix et un jeu à faire pleurer de rire !

    Au nom du père, du fils et de J.M. Weston, Julien Mabiala Bissila

     

    Cesca Rivière

     

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